mercredi 8 juin 2011

Variations poétiques sur l'Odyssée.

Une triste révélation



Par une belle journée, Ulysse revient à Ithaque dans un petit bateau. La familiarité de la côte est de l'île semble absurde - perplexe, il lutte contre un flot de retour retors auquel il n'a pas pensé depuis quinze ans et débarque à l'entrée d'une anse où il nageait quand il était petit. Toute son impatience le quitte et il va s'asseoir sous un chêne dont il se souvient bien et dont les branches surplombent l'eau, parfait pour plonger. Vingt années ont passé, se dit-il, qu'importent quelques minutes de plus. Une heure s'écoule en silence et il se rend compte qu'il est fatigué et qu'il ferait mieux de rentrer chez lui, il ramasse son épée et se dirige vers sa maison, certain que tous les obstacles qui l'attendent seront de peu d'importance après ce qu'il a traversé.
La maison n'est pas bien différente de ce qu'elle était quand il est parti. Il remarque que la porte de  l' étable des chèvres a été réparée. Une légère volute de fumée s'élève de la cheminée. Il entre d'un pas léger, la main sur son épée, en pensant qu'il serait ridicule d'être allé aussi loin et de tout perdre dans un moment d'insouciance.
A l'intérieur, Pénélope est assise devant son métier à tisser et un vieillard sommeille près du feu. Ulysse reste un instant dans l'encadrement de la porte avant que Pénélope ne l'aperçoive, hurle, laisse tomber sa navette et, avant même de reprendre son souffle, coure l'étreindre et l'embrasser en mouillant ses joues de larmes. «Bienvenue chez toi», dit-elle, blottie contre sa poitrine.
L'homme près du feu se lève, l'air possessif, pitoyablement inquiet et, dans un éclair d'intuition, Ulysse comprend qu'il s'agit de son mari. L'idée est absurde - l'homme est mou, gris et lourd, n'est pas un héros, et ne l'a certainement jamais été, il n'aurait pas duré une heure sous le soleil aveuglant devant les murailles de Troie. Il regarde Pénélope afin de confirmer sa supposition et remarque à quel point elle a vieilli - hanches plus larges, chevelure plus grise qu'autre chose, la peau qui entoure ses yeux couverte de fines rides. Hors des yeux du retour il ne reste plus qu'un écho de sa beauté. Elle s'écarte d'un pas, suit du doigt une profonde cicatrice sur son épaule et sa surprise ainsi que la peur du vieil homme deviennent un miroir - il comprend qu'avec sa peau noircie, sa barbe emmêlée et son corps, mince et durci par les années de guerre, il ressemble à un pillard, à un revenant, à un loup de mer.

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